Examen parlementaire sous haute tension pour le projet de loi alimentation
Examen parlementaire sous haute tension pour le projet de loi alimentation
À partir du 22 mai, le parlement examinera le projet de loi Alimentation. Face au mécontentement de l’ensemble du secteur agricole et de certaines ONG, plusieurs amendements seront discutés. Bien évidemment, on s’attend à ce que les débats soient animés.
Il convient de rappeler que ce projet de loi intitulé « pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable » a mobilisé de nombreux acteurs pendant plusieurs mois. En effet, les concertations ont commencé dès la tenue des états généraux de l’alimentation en 2017 et les propositions ont foisonné.
Aujourd’hui, ces acteurs ont peur que la version définitive de la loi ressemble à la version provisoire proposée par le gouvernement, à laquelle ils ne souscrivent pas.
Les failles dénoncées par les producteurs
À l’issu des états généraux de l’alimentation et des nombreuses concertations qui ont suivi, il semblerait que le gouvernement n’ait pas tenu compte des mesures préconisées par l’ensemble des acteurs du secteur agricole. Aujourd’hui, le monde agricole, par la voie de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), exprime toute sa déception. D’ailleurs, Patrick Bénézit, membre de la FNSEA, a expliqué :
« Quand le texte avait été adopté lors du conseil des ministres, en février dernier, on savait qu’il y avait des trous dans la raquette, mais on comptait sur le passage en commission pour améliorer le texte provisoire. Or, le gouvernement s’est opposé à quasiment tous les amendements qui auraient permis de renforcer la position des agriculteurs ».
Parmi les points du texte provisoire sur lesquels les agriculteurs veulent que le gouvernement fasse des modifications, on retrouve en particulier les nouvelles modalités de calcul des coûts de production.
En effet, la FNSEA estime que la fixation des coûts de production est défavorable aux producteurs. Autre points de tensions : les possibilités limitées de contractualisation dans certaines filières ou encore l’exclusion pour certains distributeurs du dispositif d’encadrement des promotions.
Enfin, les producteurs déplorent également que l’on donne un pouvoir limité aux médiateurs des relations commerciales. En d’autres termes, le médiateur des relations commerciales aura une marge de manœuvre réduite pour conclure équitablement les contrats entre les parties prenantes.
La FNSEA ne veut pas relâcher la pression. Pour Patrick Bénézit, dans sa forme actuelle, le texte du projet de loi ne correspond pas aux promesses faites par Emmanuel Macron. Le porte-parole de la FNSEA prévient que si rien ne change, « les réactions seront à la hauteur de la déception ».
Les ONG tirent aussi sur la sonnette d’alarme
La Plate-forme citoyenne pour une transition agricole et alimentaire, regroupant près d’une trentaine d’ONG, regrette le manque d’ambition du texte provisoire du projet de loi qui va être soumis à l’examen du parlement ; surtout en matière de santé.
L’ensemble des organisations de la société civile de cette plate-forme s’accorde sur le fait que le second volet du texte de loi, celui consacré à « la promotion d’une agriculture plus durable pour une alimentation plus saine », ne propose pas assez de mesures concrètes et tangibles.
Karine Jacquemart, directrice générale de l’organisation Foodwatch France, souligne que, bien évidemment, il y a des avancées qui tendent vers une alimentation plus saine. Elle cite notamment l’objectif d’arriver à 50 % de produits bio ou labellisés dans la restauration collective et dans les cinq ans à venir. Néanmoins, elle met le doigt sur un grand problème en déclarant :
« Au total, c’est une loi qui manque d’ambition pour lutter contre les substances dangereuses, améliorer la sécurité sanitaire et la qualité nutritionnelle des produits. »
WWF France monte aussi au créneau en soutenant que le texte de loi n’est pas à la hauteur des attentes des citoyens. Arnaud Gauffier, Responsable du programme agriculture durable et alimentation chez WWF France, déclare :
« Climat, biodiversité, phytosanitaires, bien-être animal : ces questions essentielles sont renvoyées à plus tard ou à la responsabilité des filières »
L’impact sur le pouvoir d’achat
En plus de la déception des professionnels du secteur, l’inquiétude des ONG et des organisations de la société civile qui interviennent dans les sujets liés à l’alimentation, les associations de consommateurs s’insurgent également contre la version actuelle du projet de loi. En effet, UFC-Que Choisir estime que la proposition qui vise à relever le seuil de revente à perte (SRP) de 10 % conduira inexorablement à un affaiblissement du pouvoir d’achat des Français. L’association de défense des droits des consommateurs évalue une baisse du pouvoir d’achat pouvant atteindre 117 € par ménage et par année. En clair, si l’augmentation du SRP est maintenue, le montant global du pouvoir d’achat perdu devrait être compris entre 1,8 et 5 milliards d’euros.
Il semblerait que cette estimation de l’UFC-Que soit exacte si l’on se base sur les résultats d’une étude demandée par le groupe E.Leclerc et supervisée par le CNRS. En effet, cette étude conclut qu’un relèvement du SRP engendrera une inflation de l’ordre de 2 milliards d’euros. Par ailleurs, le gouvernement conteste ces chiffres. En effet, le ministre de l’Agriculture, Stéphane Travert, évalue plutôt l’effet inflationniste autour de 800 millions d’euros, soit une augmentation de 50 centimes sur le panier d’un foyer moyen.
« Il faut tenter d’améliorer ce qui peut l’être… »
Il convient de rappeler que le projet de loi sur l’alimentation, qui va être débattu au Parlement, sera confronté à près de 2.600 amendements. Ainsi, les députés sont sous pression, car ils n’auront que 30 heures au maximum pour trouver un compromis.
Dominique Potier, député Nouvelle gauche, est conscient de la difficulté qui l’attend. Néanmoins, il veut rester optimiste. « Il faut tenter d’améliorer ce qui peut l’être et ne pas baisser les bras », a-t-il déclaré au site La Croix. Il va lui aussi proposer quelques amendements pour le texte de projet de loi.
La ligne directrice de sa démarche est de s’attaquer aux racines du mal. Toujours dans La Croix, il déclarait :
« Ce projet va dans le bon sens, mais les instruments qu’il propose sont trop faibles pour régler trois problèmes structurels majeurs : le décalage énorme entre une offre fragmentée entre 500 000 producteurs et une demande concentrée contrôlée par quatre centrales d’achat ; une Europe qui a abandonné les outils de régulation du marché, ce qui organise la concurrence entre producteurs européens ; et la multiplication d’accords commerciaux qui impactent négativement l’agriculture. »